[...] Si nous traçons la carte de la diffusion du samba comme pratique amateur, nous voyons comment la diffusion est fortement influencée par des critères économiques (la pratique se diffuse principalement en Europe, Amérique du Nord, Australie, Japon et depuis peu en Chine). A l’explication anthropologique du phénomène de diffusion doit s’ajouter une explication sociologique et politique pour élucider un double mouvement global de diffusion de la musique : l’industrialisation de la culture selon le modèle occidental dominant et les appropriations des cultures locales et « authentiques » par les populations les plus riches de la planète. Le premier mouvement de diffusion fait l’objet de nombreux travaux philosophiques, anthropologiques, sociologiques et ethnomusicologiques. Leur portée critique générale fait écho aux diffusionnistes américains qui déjà dénonçaient l’uniformisation culturelle en marche. Dans son texte « cultures authentiques et cultures inauthentiques »[1], un article plus personnel que scientifique, Edward Sapir parle d’une « culture disséminée sur une étendue infinie, perdant sa vigueur et sa subtilité », et de la culture diffusée comme culture « diluée », ou encore « culture en boîte » ou culture « administrable ». Il donne déjà à l’époque une définition de ce que nous appelons aujourd’hui la globalisation sous le terme d’« internationalisme économique et semi-politique » basé sur la « civilisation industrielle », « le sens du progrès », et « l’uniformisation culturelle ». Ce phénomène de diffusion est selon lui soldé par un « échec culturel », un « grand vide » que la prospérité ne comblera jamais, en détruisant le rôle générateur de valeurs culturelles des individus. Cette pensée critique apparaîtra régulièrement dans d’autres courants qui s’inspirèrent du diffusionnisme, notamment les recherches sur l’acculturation avec Bastide qui parlait d’Involution pour nommer « l’uniformisation progressive de l’humanité selon le modèle occidental » ou les travaux des penseurs contemporains de la globalisation sur la diffusion de la culture de masse et les menaces qui pèsent sur la diversité culturelle. Ce premier mouvement de diffusion paraît alors être la cause d’un autre mouvement de diffusion dont l’école de samba Papagaio est un exemple. Il ne s’agit pas de la diffusion d’une culture de masse, ou d’un modèle occidental au sens où les auteurs précédents l’entendaient. Il est ici question d’une diffusion culturelle marquée par de nouvelles formes d’exotisme et qui se justifie comme réponse à une prétendue « carence » de traditions et de pratiques festives. Un axe de recherche beaucoup moins présent dans le paysage anthropologique mais qui commence à se faire entendre, notamment au Brésil. José Jorge de Carvalho de l’Université de Brasilia parle par exemple de « cannibalisme musical » ou de « fétichisation des traditions ». Et ce que j’appelle l’« appropriation » de la musique sur mes terrains en France et au Brésil peut être également analysé en termes d’« expropriation » de la musique : nous pouvons être Finlandais et jouer du samba à condition de le désacraliser et de le dépolitiser, de le déterritorialiser. Quoique radicale, cette pensée donne une profondeur aux recherches sur la diffusion en s’attaquant aux effets locaux que la globalisation génère et en soulevant les enjeux culturels profonds qui agitent notre monde contemporain [...]. Vaillant A., 2008.
[1] SAPIR Edward, Anthropologie, Editions de Minuit, Paris, 1967, p. 325-358.
[1] SAPIR Edward, Anthropologie, Editions de Minuit, Paris, 1967, p. 325-358.
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