Le 1er mai à Rauba Capeu, au pied du chateau qui n'existait pas, viennent autour de la Santa Capelina ceux qu'on appelle les travailleurs du chapeau, de l'imagination, du pantai (mot niçois intraduisible). Ils amènent le poisson frais pour la soupe, de quoi jouer, danser, et chanter et déposent leurs voeux auprès de la Santa avant de l'accompagner en musique dans une procession qui finira dans l'eau. Cette fête a lieu tous les 1ers mai à Nice depuis 15 ans. A l'année prochaine !
http://marseille.indymedia.org/news/2004/05/120.php
[...] Après la pénétration de la musique brésilienne en Europe au début du XXème siècle, c’est un « brésilianisme » qui se construit en France à partir de la fin des années 1950, lors de la sortie du film de Marcel Camus Orfeu Negro. Ce mouvement influencera plus au départ le spectacle vivant et la musique de variétés que les pratiques musicales elles-mêmes. Depuis cette époque, un phénomène de « cryométonymie »[1] est à l’œuvre en France, ou encore en Europe, qui consiste à identifier le Brésil en le représentant par l’aspect musical de sa culture. Celui-ci est cependant relié à sa portée politique : « la musique brésilienne véhicule une certaine idée de la démocratie (…) La naissance de la Bossa Nova est simultanée à la naissance de Brasilia, une ville révolutionnaire (…) Et la MPB[2], dont le chef de fIlé était Chico Buarque, était un exemple de résistance à la dictature militaire[3] » décrit André Midani, le Commissaire de la Saison du Brésil en France en 2005. Si le Brésil est le premier partenaire commercial de la France en Amérique Latine, et que les échanges scientifiques et techniques sont conséquents[4], c’est la création musicale qui sera mise en avant dans cette manifestation culturelle. L’association Française d’Action Artistique qui coordonne cette saison se donne pour objectif officiel sur son site internet[5] de « resserrer les liens » entre les deux pays : « un Brésil créatif, modèle de diversité et de rencontres culturelles », et une France « creuset de cultures très différentes où la mécanique de l’intégration a longtemps bien fonctionné et connaît aujourd’hui des difficultés ». L’association parle d’un « modèle brésilien de paix sur la scène internationale », d’un modèle d’intégration « harmonieux », et d’une « cohérence » dans la diversité culturelle brésilienne. Le discours institutionnel français relaie donc cet imaginaire politique idéal, transmis en majeure partie par la musique brésilienne en circulation depuis le début du XXème siècle en France.
On peut se demander dans quelles mesures cet imaginaire politique créé autour du Brésil aurait pu influencer un mouvement comme Zou Mai dans le choix de pratiquer la batucada. Au-delà d’un objectif de contestation sociale et culturelle, que les membres de Zou Mai auraient projeté sur les percussions brésiliennes collectives, l’appropriation d’une pratique musicale brésilienne n’est-elle pas politiquement confortable ? En effet, la communauté brésilienne étant peu représentée à Nice, la batucada s’échappe de fait d’une catégorie de pratique culturelle communautaire. Il ne s’agit pas de s’approprier la musique qu’un groupe socioculturel français revendique déjà comme un outil de contestation sociale et d’expression identitaire, comme le rap. Il ne s’agit pas non plus de s’approprier une musique d’Amérique du Nord ou anglo-saxonne, comme ont pu le faire des musiciens traditionalistes occitans dans les années 1970 ou, ici encore, des rappeurs des milieux urbains défavorisés liant leur expérience de « la banlieue » à celle des ghettos afro-américains[6]. Un actuel « degré d’antipathie envers la culture populaire américaine » (Stokes, 2004, p. 374) au sein de certains mouvements dits « alternatifs » animés par les classes moyennes et intellectuelles, pourrait expliquer ce possible confort de projection sur le Brésil et sa culture musicale, à la fois institutionnalisée, connue de tous, et base d’une contestation sociale, dans une quête de ses racines.
L’imaginaire français autour de la culture brésilienne qui s’est construit à travers le siècle dernier a contribué à la création de nombreuses batucadas en France. La « confortable » appropriation de la musique brésilienne par ces groupes français repose d’abord sur les représentations communes de Carnaval, de fête, et de « défoulement » collectif puis sur un idéal socioculturel et politique brésilien. Cela n’empêche pas chaque groupe de justifier différemment sa démarche d’appropriation : substitut à un folklore inexistant ou méconnu, facilités d’apprentissage et efficacité sonore, passion musicale du samba ou, de manière évasive, « le besoin d’exotisme »[7]. Ces diverses intentions d’appropriation trouvent leur sens propre à l’intérieur de leur sphère d’existence et s’intègrent aux stratégies de vie locales et particulières. Si l’imaginaire propre à chaque batucada a son caractère autoréférentiel[8], la situation d’appropriation sur place, au Brésil, est en elle-même créatrice d’expériences communes à tous ces groupes qui restent alors, malgré leurs pratiques distinctives parfois localistes, des Français aux yeux des Brésiliens [...]. Vaillant A., 2005.
[1] D’après Arjun Appadurai in FRIEDMAN Jonathan, « Des racines et (dé)routes. Tropes pour trekkers », L’Homme n°156, EHESS, 2000, pp. 187-206 (p. 189)
[2] La Musique populaire brésilienne.
[3] Qui a duré de 1964 à 1985.
[4] Site du Ministère des AffairesEtrangères, http://www.diplomatie.gouv.fr/.
[5] http://afaa.asso.fr/.
[6] STOKES Martin, « Musique, identité et « ville-monde ». Perspectives critiques », L’homme n°171-172, Musique et anthropologie, EHESS, Paris, 2004, pp. 371-388 (p. 374)
[7] Tour de table entre membres de batucadas différentes en mars 2004, à Récife.
[8] Jean-Loup Amselle in TURGEON Laurier, DELAGE Denys, OUELLET Réal, Transferts culturels et métissages Amérique/Europe XVIème-Xxème siècle, L’Harmattan, Paris, Anthropologie du monde occidental, Presses de l’Université Laval, 1996 (p. 59)
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